vendredi 30 octobre 2009

Dépose minute

Kiss and ride ou encore Kiss and fly


Certains préfèrent la formule anglaise la trouvant plus poétique Moi je préfère dépose minute Elle a le mérite d'être claire, efficace, moins mensongère.

Parce que qui dit qu’on va s’embrasser ? c’est seulement une zone particulière de départs, sur la ligne du destin qui se déchire, l'endroit où les univers basculent, une frontière express entre le voyageur et l’autre, celui qui n'a pas de billet.

Entendez moi bien, je ne confonds pas ce flot rapide avec la voie réservée aux taxis où le même va et vient de coffres ouverts et de ronronnements de moteurs, s’agite en permanence. Car tout comme vous, je suis consciente que la similitude n’est que superficielle. Elle ne saurait être intime, contrairement à la dépose minute qui ne s'attache pas, ou exceptionnellement, les inconnus. Encore que, mais c'est une autre histoire...

Je déconseille vivement la dépose minute aux tortues, aux paresseux, aux amoureux du temps suspendu. A peine en place, déjà on vous presse, on vous klaxonne, on vous appelle du phare… Tout juste si on ne vous insulte pas. On ne doit donc pas s’ embarrasser de sentiments. Ce qui compte dans cet espace étroit c’est la vivacité du mouvement en trois temps : s'arrêter, déposer, repartir On doit donc être parfaitement programmé, net comme un geste chirurgical. Sans fioriture ou commentaire.

Avec ou sans bagage, passager unique ou nombreux, il n’est plus temps pour les adieux les conseils ou les effusions. A peine débarqué, il faut s'insérer dans l'encombrement des objets en transit et des corps pressés, suivre le flot impétueux des urgences en partance Certains marchent à reculons, d’autres s’éloignent en claquant fermement des talons mais tous savent au bruit définitif des portières refermées, qu'il est interdit de traîner, de faire marche arrière et, encore plus, de prendre racine !

Car l'ennemi, la loi suprême qui régente la dépose minute c'est la minute ! Toujours elle, qui s’affiche en vedette, qui dirige l'opération Une minute qui s’insinue qui abrège qui tranche. Elle ne laisse aucune place pour les atermoiements, les hésitations, les vœux et les pardons encore moins pour le décryptage des derniers regards. A peine pour une étreinte rapide, une vague poignée de mains, une bourrade amicale et encore ! pas toujours...

Alors d’où provient l’étrangeté du moment quand vous passez par la dépose minute ? Car vous étiez prévenus... c’est qu’on y retrouve pêle-mêle et brutal, un assortiment d’émotions contradictoires parfois anticipées, souvent redoutées, quelquefois même, inattendues...

La dépose minute est un scalpel horaire bien affuté planté au cœur de la vie.


Je peux bien l'avouer Je suis lasse d’être celle qui dépose.Il me semble n'être jamais partie secouer un peu mes ailes, tourner le dos et s'engouffrer ailleurs. Ce qui est faux bien entendu ! Sinon comment visionnerais je l'excitation du départ et toutes ses potentialités ?.

Mais je suis trop souvent celle qui sème et qui rebrousse chemin à vide J'ai pris le pli de passer et de repasser à la dépose minute Je ne peux pas m'empêcher de reproduire ces instants clés. Il y a tous ces mots que je n'ai pas eu le temps de dire, ces pensées que je voulais partager encore, ces caresses et ces fous rires, ces envolées et ces noyades, ces cris découverts et ces mensonges disparates...


Kiss and ride Kiss and fly. Des mots étrangers aux mondes interdits

Circulez ! Ici, c'est juste une dépose minute.


C.

mardi 20 octobre 2009

Correspondance

Très cher Poète

Je lis, absente. C'est pourtant un bon choix, un auteur de qualité qui soigne ses effets et son style. Peut être suis-je devenue trop exigeante. Peut être sont ce mes conditions de lecture aujourd'hui ou mes humeurs … je ne suis pas suffisamment concentrée sur le texte

Alors, j'en évoque un autre, un bijou émotionnel avec des images comme tu sais les créer , Poète oh ! ce majuscule habit … ce quignon du jour … et ton écriture me transporte en rythmes ou en vagues, au cœur d'un tourbillon de sens, ouvrant ma bouche sur des dimensions différentes sans pour autant m' être étrangères.

Par moment, un sourire nait de ta ponctuation anarchique, mieux qu'une caresse, une inquiétude Pourquoi ce souffle ? Par instant, un vers ou une image s'incruste en écho inaltérable. D'autres sont comme des poignards effilés parcemés d'éclats précieux sur lesquels je m'attarde, éblouie...

Et puis, la tournure, la patine, la fluidité, la profondeur, ta griffe, à nouveau m'aspirent. Mes doigts tournent des pages à venir, reviennent en arrière Circonstanciel : quel beau titre ... et toujours ces battements de coeur, ce saisissement de l'âme, incontrôlables

Je ne suis pas jalouse, juste conquise. Ton Verbe : une terre fertile.

Je voudrais sa présence physique dans mes mains, être encombrée de sa matière Je voudrais pouvoir l'incorporer comme une parure aimée. Il me tarde, il me manque, il me hante.

Qu'as tu pensé, Poète, en accouchant des mots ? était ce comme un passe temps irrésistible, une dernière et désespérée tentative de communication dans un monde de sourds, un jeu de mains dans la marge ?

Semer la trace Exposer les entrailles Offrir le divin ou mieux, tout simplement accroître le goût de l'humain. S'enfuir. Se fuir.

Il y a eu ce premier jet puis d'autres et des fils qui mènent sur une toile complexe Une porte du hasard et ma fortune.

Jamais je ne posséderai les mots justes pour le dire ; ceux là appartiennent aux capitaines et aux armateurs, qui décident et dirigent les passages. Mes mots à moi ne crient pas assez fort comme une vérité vitale mais ignorée que seul demain reconnaîtra. J'ai en mémoire vive ce rêve, cette prémonition qui ne saurait mentir.

Mais à l' instant, comme souvent, je suis saisie par l'envie puissante de tenir contre moi, cet ouvrage qui n'est pas encore.

La voix du vivant. Le poids des mots. Comme un graal. Ton oeuvre, Poète, n'est qu'un océan d'émotions mais ma faim elle, est ici et maintenant, bassement matérielle.

C.

jeudi 8 octobre 2009

Veillée funèbre

Les pleureuses sont arrivées. Même figures désolées ; mêmes postures affligées Où est le corps ??? où est la victime, se sont elles inquiété, bavant presque par anticipation Où est elle, celle tant de fois torturée, tant de fois perdue, tant de fois vidée de sa substance, offerte découverte, abusée puis abandonnée à la solitude, au dédain, à l'opprobre.

Avant que la mort annoncée ne s’avance et récite son monologue, sa litanie de reproches de sa voix de ténor, que pourrais je dire pour te restituer le goût, mon Amie, mon Âme ?

Qu’ elle ne devrait pas, La mort, ainsi s’afficher à l'avance Partout ton souffle retentit au corps, se répandant sur l'onde.

Car, oui, on t’affiche on t’admire on te cultive on t’aspire on te boit on t'idolâtre on te dissèque pour mieux te retenir

Ici bas.

Car même dans les plus terribles moments, ou dans l'extase, nous te cherchons.

Cruelle, pourquoi renoncerais tu à paraître ? montre toi au grand jour, défigurée, chaotique, visionnaire ou comme aux heures de gloire, respectueuse et soumise, enchanteresse. La renommée t’encensait alors, jusqu’ aux terrasses des cafés, aux détours des vitrines, aux feux de la cheminée, aux creux des cœurs, aux bancs inconfortables, sous les draps du lit, au bord de nos lèvres et nous, simples mortels, nous t'aimions.

J’ai lu ton testament sur des murs insipides, j'entends tes dernières volontés comme des impératifs de survie

Répands moi Livre moi Achète moi Car je suis belle même dépecée et suis comme l’amour, à vendre. Je mourrai de ton avarice plus que de ton ignorance. Achètes moi et je vivrais, détournes toi et tu mourras sec comme un déchet non recyclable.


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bonsoir M.


Partout on se plaint que la poésie ne trouve plus sa place en librairie On édite et réédite les classiques comme des valeurs sûres mais Les Poètes (les authentiques conjoints de Poésie, ceux à qui elle a dit oui devant Histoire et Émotion ...) les contemporains qui nous transcrivent, ne trouvent plus de maison pour les accueillir... Pourquoi ? Peut être que nous, parasites, sommes fautifs, nous qui critiquons sans cesse, qui volons sur le net, accroc à sa magie qu'elle sème ou réveille en nous, mais qui préférons investir dans les succès commerciaux des romans si vite oubliés qu'ils n'auraient jamais du voir le jour ... nous, amoureux, envieux, qui finalement refusons de dépenser pour les ouvrages de poètes contemporains ou l'abonnement à des revues qui n'arrivent jamais à maturité faute de soutien.

Que restera t il de ces Poètes de leurs cris de leurs chairs répandues sur les ondes qu'un simple virus peut détruire à jamais ???

Où sont passés ces mécènes qui protégeaient l'Art Poétique le chérissaient lui accordaient une terre fertile ...

J'ai eu cette vision des pleureuses assemblées comme des vautours autour du corps de Poésie attendant son dernier soupir et j'ai pensé à Ray Bradbury et son Farhenheit 451 La peur m'a saisie C'est pourquoi j'apprends par coeur et je diffuse les poèmes que j'aime.

C'est pourquoi aussi, je te suis reconnaissante de t'aventurer en son royaume.

C.